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Extrait

Les lois de la chevalerie

Walter Scott, Ivanhoe, chapitre XXIX, 1819 (1920 pour la traduction).
Au chapitre XXIX, Ivanhoé, blessé dans le tournoi à Ashby, ne peut prendre part au nouveau combat qui se déroule aux portes du château où il est reclu. Il est soigné par une belle jeune fille juive, Rebecca, qui tombe amoureuse de lui. Réduit malgré lui à l'inaction, Il évoque ici les lois de l'esprit chevaleresque et notamment l'importance de la gloire.
 

̶  Hélas ! dit la jeune juive en se retirant de la fenêtre et en s'approchant du lit du blessé, ces désirs impatients, cette soif de gloire qui vous tourmente, ces regrets sur votre état de faiblesse, ne peuvent que retarder votre guérison ! Comment pouvez-vous songer à infliger des blessures aux autres, avant que celles que vous avez reçues soient fermées ?
̶  Vous ne pouvez comprendre, Rebecca, combien il est impossible à l'homme nourri dans le véritable esprit de la chevalerie, de se voir enchaîné dans l'inaction comme une femme, quand des prouesses de bravoure se passent presque sous ses yeux. L'amour des combats est l'essence de notre vie : la poussière qui s'élève au milieu de la mêlée est l'atmosphère dans laquelle nous respirons librement. Nous ne vivons, nous ne désirons vivre qu'autant que nous sommes victorieux, que nous acquérons du renom. Telles sont, jeune fille, les lois de la chevalerie, auxquelles, nous jurons d'obéir, et auxquelles nous sacrifions tout ce que nous avons de plus cher.
̶  Hélas ! vaillant chevalier, dit la belle juive, n'est-ce pas un sacrifice fait au démon de la vaine gloire, une offrande passée par le feu pour être présentée à Moloch ? Quand la mort a brisé la lance de l'homme de guerre, et l'a renversé de son cheval de bataille, que vous reste-t-il pour prix du sang que vous avez versé, des fatigues et des travaux auxquels vous vous êtes livré, des pleurs que vos hauts faits ont fait couler ?
̶  Ce qu'il nous reste ! s'écria Ivanhoé, ce qu'il nous reste ! la gloire, jeune fille, la gloire qui dore nos tombeaux, et qui immortalise notre nom !
̶  La gloire ! reprit Rebecca : hélas ! c'est le trophée d'armes rongées de rouille, suspendu sur le monument qui couvre les restes du guerrier  c'est l'inscription effacée par le temps, et que le moine ignorant peut à peine lire au voyageur. Sont-ce là des récompenses suffisantes pour le sacrifice des plus douces affectations, pour une vie passée misérablement à rendre les autres misérables ? Les vers grossiers d'un barde errant ont-ils des attraits assez puissants pour faire immoler les plus tendres sentiments de la nature, la paix et le bonheur, au désir de devenir le héros de quelqu'un de ces ballades que de vagabonds ménestrels vont chanter aux tables des grands, tandis que les convives s'enivrent de flots de bière et de vin ?
̶  Par l'âme d'Herewald ! Jeune fille, s'écria le chevalier d'un ton d'impatience, vous parlez des choses que vous ne connaissez point. Vous voudriez éteindre le feu pur de la chevalerie ; ce qui distingue le noble du vilain, le chevalier du paysan et du sauvage ; ce qui, rend la vie moins précieuse que l'honneur ; ce qui nous fait supporter les fatigues, les travaux et les souffrances ; ce qui nous apprend à ne rien craindre que l'infamie. Vous n'êtes pas chrétienne, Rebecca, et vous ne pouvez apprécier ces sentiments élevés qui font palpiter le sein d'une noble demoiselle, quand son amant a fait quelque prouesse qui justifie l'amour qu'elle a pour lui. La chevalerie ! c'est elle qui nourrit l'affection la plus vive et la plus pure, c'est elle qui secourt les opprimés, qui redresse les torts, qui réprime la tyrannie. Sans elle la noblesse ne serait qu'un vain nom, et la liberté trouve sa meilleure protection dans sa lance et son épée.

Walter Scott, Ivanhoe, chapitre XXIX, traduction de M. Defauconpret : Furne, Paris, 1830-1832
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